Interview : Bénédicte GRAILLES, responsable du master 2 archives et réseaux documentaires

Maîtresse de conférences et conservatrice du patrimoine, Bénédicte Grailles est responsable du master 2 archives et réseaux documentaires de l’université d’Angers depuis 2003.

Quelles études avez-vous suivies ?
J’ai suivi un double cursus. Tout d’abord, une maîtrise de lettres classiques puis un doctorat d’histoire. Ma thèse portait sur les phénomènes commémoratifs durant la IIIe République. Elle visait à comprendre les représentations qui habitaient les personnes à l’entrée en guerre en 1914. C’est un sujet où les sources étaient à inventer.
J’ai également un diplôme préparant aux métiers du patrimoine grâce auquel j’ai rencontré les archives.

Êtes-vous toujours chercheur ?
J’effectue toujours des recherches mais désormais centrées sur des questions archivistiques, comme celles de l’évaluation ou de la classification.

Quel a été votre parcours professionnel ?
Avant d’être maîtresse de conférences à Angers, j’ai travaillé durant quinze ans en archives départementales. Mes missions y ont évolué. Lorsque j’y suis arrivée, le service s’informatisait. Cela m’a permis d’être en contact avec cette problématique. Dans ce service, j’ai eu différentes tâches : l’encadrement scientifique, la valorisation avec, par exemple, l’organisation d’expositions, la gestion d’équipes, des tâches scientifiques, différentes missions transversales. Être dans un gros service d’archives départementales permet de balayer l’ensemble des fonctions classiques de l’archiviste.
Quand je suis devenue enseignante, il n’y a pas eu de rupture entre ma profession d’archiviste et le fait de former. En effet, j’effectuais déjà des recherches, j’étais chargée de cours en université et j’intervenais dans le cadre de la formation continue lorsque j’étais en poste aux archives départementales.
Je suis devenue maîtresse de conférences à Angers par « hasard » : l’université d’Angers voulait que la formation soit assurée par quelqu’un ayant un acquis professionnel, qui soit présent dans le réseau professionnel et fasse des recherches. J’avais envie de réfléchir à ma pratique car, dans son poste, on a des contraintes, on agit dans l’urgence. J’avais envie de mieux m’ancrer dans la théorie, de communiquer mon amour pour ce métier.

Pourquoi avez-vous choisi cette profession ?
Ce n’est pas le fruit d’une démarche raisonnée. Je n’ai pas, comme le font certains étudiants, comparé le marché du travail, ni analysé ce que l’on pouvait faire avec tel diplôme. J’avais envie de faire un métier du patrimoine. En fait, c’est la rencontre avec des archivistes qui m’a amenée aux archives. Ils étaient passionnés par leur métier et avaient un épanouissement qui faisait envie. J’ai fait donc un stage puis un second qui ont confirmé cette voie.

Comment définiriez-vous le métier d’archiviste ?
Ce métier a plusieurs profils, plusieurs missions. On peut être tour à tour dans les différents profils. On peut donc évoluer dans le métier. Ce dernier est un métier « au service de ». Il faut avoir envie de mettre sa compétence au service d’un certain nombre d’autres acteurs : le producteur d’archives, le chercheur en salle de lecture, l’enseignant dans un service pédagogique… Il faut donc être empathique, se mettre à la place de l’autre. C’est un métier de contact avec divers interlocuteurs qui nécessite d’adapter sans cesse son discours.
L’éventail des missions est large et peut aller de l’organisationnel à la valorisation.
L’archiviste est la personne qui, au sein d’un organisme, a une vision globale. Il doit faire des efforts pour comprendre l’ensemble des activités de production. Cela est peu courant d’où l’intérêt de ce métier. Il faut être curieux, avoir envie de comprendre les choses, avoir de l’exigence vis-à-vis de soi, être précis. C’est satisfaisant.

Que préférez-vous dans ce métier ?
J’apprécie que ce métier nécessite un travail à plusieurs comme les rapports avec les collègues, les producteurs ou les liens avec le réseau professionnel. On a de nombreux contacts, une ouverture, ce qui est plaisant.
J’apprécie que les documents rencontrés soient variés. On peut être avec un document du XIIe siècle et, juste après, avec un datant des années 1980. Il y a aussi l’intimité avec les documents. C’est un émerveillement qui ne m’a jamais quittée. Ce qui est intéressant lorsque l’on classe un fonds, c’est la connaissance intime que l’on a de l’organisme ou de la personne concernée qui en sont à l’origine.
Il y a aussi le traitement scientifique des archives. Le contact avec les chercheurs est également intéressant car on se sent vraiment utile.
J’apprécie, de même, d’organiser les choses, de porter un projet, de convaincre, de convertir à celui-ci. Il est appréciable de s’adapter à un environnement pour être un levier afin que les choses fonctionnent mieux.

Quelles sont, pour vous, les évolutions fortes de ce métier ?
Il y les technologies de l’information et de la technologie (TIC). Mais, en fait, la principale évolution est le fait de devoir s’ouvrir et de prendre en compte d’autres réalités de l’information que celles que l’on connaît. Plus que l’adaptation aux nouveaux supports, c’est l’adaptation à leur organisation qui constitue une véritable évolution. L’archiviste ne doit pas rester isolé du monde extérieur. Il doit apprendre d’autres « langages ».
La normalisation a aussi un poids de plus en plus important. L’ensemble de l’activité de l’archiviste est encadré de manière plus serrée que dix ans auparavant
L’archiviste reste un archiviste. Son intégration dans son environnement nécessite une maîtrise désormais de plus d’éléments qui ne sont pas liés par nature à son métier.

Quels sont, pour vous, les points forts du parcours archives dispensé à Angers ? Quelles sont les spécificités de la formation d’Angers par rapport aux autres ?
Tout d’abord les cursus proposés et leur longueur sont variés. Cela donne une offre de formation dense. La formation dispose donc d’un nombre d’heures important qui permet aux entrants en master 2 une mise à niveau. On peut ainsi intégrer des étudiants à des niveaux différents.
Le département histoire de l’université a toujours souhaité des professionnels des archives et des chercheurs comme enseignants de cette formation. Les personnes en charge de la formation donnent donc de la cohérence avec les intervenants extérieurs. Elles font le lien entre les professionnels et les chercheurs du département. Elles sont partie prenante du département d’histoire qui est un département de recherche. Cela donne une reconnaissance à la formation, nécessaire pour avoir un nombre d’heures par exemple.
Pour ceux qui optent pour le cursus long, la première année de master constitue une articulation où l’on passe de la posture d’historien à celle d’archiviste. C’est un passage qui doit s’opérer avec le temps.
La méthode pédagogique employée est aussi un point fort. Faire travailler les étudiants en mode projet par petits groupes sur du réel est important.
J’ai la conviction qu’une formation archives doit rester sur ses fondamentaux. Cela permet d’évoluer et de s’adapter. Il ne faut pas se spécialiser trop vite. La vie professionnelle, les goûts, les rencontres se chargeront de cela.
Une autre spécificité de la formation est que, lorsque l’on interroge les anciens de la formation, ils gardent un bon souvenir de l’année passée à Angers. Le cadre est important : la ville, les bonnes conditions de travail, les activités possibles au-delà de la formation…

Dans quelle direction souhaitez-vous faire évoluer la formation ?
L’adaptation aux modes et aux changements de la formation s’effectue de manière régulière. Cela se fait par l’écoute du milieu professionnel. Depuis quatre ans, une partie du contenu de la formation a évolué ou est présentée de manière différente. Ce n’est pas une vraie difficulté.
En revanche, l’effort doit être plus porté sur l’environnement théorique. Quand on pense à une formation professionnelle, on pense à des recettes, à des techniques. C’est comme cela qu’une formation rate son objectif. Elle doit donner une ossature théorique pour qu’il soit ensuite possible de s’adapter et de créer une méthodologie. Dans les années à venir, il y aura des changements comme la gestion de l’électronique. Au moment où la tentation est à l’atomisation des connaissances, il est nécessaire d’avoir une réflexion pour développer une synthèse et des lignes directrices. La France est en retard de ce point de vue.

Comment sont choisis les étudiant intégrant le master 2 Archives d’Angers ?
La sélection des étudiants se fait d’abord sur dossier puis sur entretien devant un jury composé d’universitaires et de professionnels.
Pour la sélection sur dossier, un bon dossier universitaire est un avantage non négligeable. La motivation est également déterminante. C’est une notion mal cernée par les étudiants. Elle se sent dès le dossier avec la lettre de motivation, qui est un exercice discriminant. Elle se voit aussi à l’oral.
Il n’y a pas de profil précis cherché. On ne recherche pas des étudiants ayant un idéal professionnel particulier. On essaie avant tout de voir leur enthousiasme, de voir s’ils ont envie de faire ce métier et se projettent dans celui-ci.

Remarquez-vous une évolution au sujet des étudiants ?
Je suis surprise qu’ils n’aient toujours pas un lien apaisé avec l’informatique. Je regrette l’absence d’une culture informatique.
Je constate que les compétences évoluent. Les exercices classiques et l’écrit sont moins bien maîtrisés. Mais, cela est contrebalancé par une maîtrise de la communication plus large, meilleure.
Enfin, les étudiants semblent, en général, plus stressés. Cela s’accompagne de difficultés à gérer les priorités. J’aimerais qu’ils soient moins utilitaristes et plus épanouis dans leurs démarches.

Interview réalisé le 13 février 2008 par Jasmine R. et Lucie M.




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