Interview : Patrice Marcilloux, responsable de la licence professionnelle

Maître de conférences et conservateur du patrimoine, Patrice Marcilloux est responsable de la licence professionnelle traitement et gestion des archives et des bibliothèques et enseignant au sein du master 2 Archives et réseaux documentaires de l’université d’Angers, depuis 2005. Il est également chargé de mission pour l’insertion professionnelle au sein de l’UFR des lettres, langues et sciences humaines.

Quelles études avez-vous suivies ?
J’ai fait une classe préparatoire à l’École nationale des chartes. Puis, j’ai suivi le parcours en trois ans de cette école. Ensuite, j’ai fait partie de la première promotion ayant poursuivi par l’École du patrimoine.

Quel a été votre parcours professionnel ?
À la sortie de l’École du patrimoine, j’ai été nommé directeur des archives départementales de l’Aisne, à Laon, où je suis resté peu de temps, trois années. Puis, sur sollicitation de la direction des Archives de France, j’ai pris la direction des archives départementales du Pas-de-Calais. J’y suis demeuré presque sept ans. Après, je suis devenu directeur des archives départementales du Loiret, à Orléans. J’y suis resté trois ans.
Puis, à la suite de cette première phase de carrière, j’ai postulé et j’ai été recruté par la voie du détachement pour un poste de maître de conférences à l’université d’Angers, au sein de la filière archives.
Pour résumer, mon grand poste a été les archives départementales du Pas-de-Calais, où j’ai eu le temps de faire pas mal de choses, dans un département qui est un grand département, dans un service important. Cela a été la partie la plus stimulante de ma carrière jusqu’à présent, bien sûr.

Pourquoi avez-vous choisi cette profession ?
C’est un choix assez ancien. J’ai été fixé dès le lycée sur ce type de parcours, ce type de métier. Au départ, il y a le goût de l’histoire. Puis, j’ai pris quelques renseignements sur ce qu’est le métier, sur ce qu’était la formation à l’époque. J’avais envie de coupler l’histoire et les documents qui servent à faire l’histoire. Après, il y a toujours des petits hasards, c’est-à-dire des enseignants qui vous disent : « Tu devrais faire cela. » Je me souviens que mes parents avaient écrit à l’École des chartes pour demander la brochure des enseignements, car, à l’époque, il n’y avait guère que l’École des chartes. Il y avait marqué une phrase qui était à peu près celle-ci : « Les diplômés de cette école travaillent sur les matériaux qui servent à faire l’histoire. » Je me suis dit que, s’ils travaillent sur ce qui est en amont de l’histoire, c’est donc quelque chose d’extrêmement important puisque, sans eux, il n’y aurait pas d’histoire.

Comment définiriez-vous le métier d’archiviste ?

Ce sont des professionnels du document qu’il soit ancien ou très récent et quel que soit son support. Cela consiste, dans certains services, à conserver des documents anciens, très prestigieux, qui sont des documents d’histoire, mais aussi à collecter les documents qui seront, un jour, historiques. Il y a donc toute une chaîne archivistique et différents aspects à ce métier.

Que préférez-vous dans ce métier ?
Moi, dans mon exercice, cela a été la diversité. Dans mes postes de direction, j’ai aimé, mais c’est particulier et lié à ces postes-là, la diversité entre les tâches de cette fonction : le mélange entre les tâches scientifiques et administratives. Faire fonctionner ou être en charge d’un service administratif, d’un service public, qui a une mission de conservation et donc une tâche particulière, m’a intéressé. Évidemment, j’ai apprécié la diversité des supports, des époques mais aussi des tâches. Le mélange du traitement scientifique, des tâches de valorisation, des aspects administratifs et techniques, qui sont forcément derrière pour faire marcher la machine, voilà ce qui moi m’a motivé le plus.
Et puis, j’ajouterais l’espèce de poste d’observation privilégié que l’on a quand on est archiviste dans n’importe quel type d’organisation. C’est-à-dire que, si on a le goût d’essayer de comprendre un peu comment fonctionnent les structures et organisations dans lesquelles on se trouve, on a le poste d’observation, à mon avis, le meilleur et le plus privilégié. Comme archiviste, on voit tout. Et on se rend compte assez rapidement que l’on en comprend et que l’on en sait plus que beaucoup de responsables d’une organisation, quelle qu’elle soit, parce qu’on est en contact avec toutes les parties de cette organisation pour collecter les archives, régler les problèmes d’archives, etc.
J’ajoute que, dans le cas particulier des archives départementales, on a un privilège comme directeur des archives départementales qui est presque unique aujourd’hui : être en relation à la fois avec les administrations du département et celles de l’État dans un département. On peut donc parler avec le président du conseil général et le préfet et être à la fois collaborateur de l’un et de l’autre. Aujourd’hui, c’est assez privilégié comme position. On comprend et on voit passer beaucoup de choses. Ainsi, en tant que directeur d’archives départementales, au bout d’un certain temps, vous avez une connaissance du département, qui est très intéressante à avoir, à acquérir, à faire progresser, et cela en étant connecté avec la fonction archive.
J’ai aimé aussi les tâches de valorisation culturelle, les expositions et toutes les occasions de contact avec le public. J’ai apprécié toute l’alchimie qui consiste à faire que ces moments de contact avec le public ne nuisent pas à d’autres missions du service mais, au contraire, soient en osmose le plus possible avec l’aboutissement des tâches que l’on considère comme plus fondamentales comme la collecte, du traitement, de la conservation.

Quelles sont, pour vous, les évolutions fortes de ce métier ?
Je pense qu’on s’attend forcément à ce que je parle des nouveaux supports, des archives électroniques, qui sont des évolutions fortes, encore mal maîtrisées sans doute, qui auront forcément des conséquence à moyen et à long terme.
Les enjeux seront pour la profession de continuer à savoir se situer par rapport à ces évolutions, c’est-à-dire quel est notre point de vue ? On ne cherche pas à être informaticien, ni gestionnaire de système d’information au sens complet du terme. Autrement dit, est-ce que nous estimons que notre point de vue est toujours essentiellement patrimonial ? Bien sûr, il faut être compétent, il faut comprendre, être techniquement au point et ne pas être retardataire. Notre mission, in fine, est dans la constitution d’un patrimoine, de quelque chose qui est destiné à être un patrimoine, qui aura un usage historique et d’autres usages pour le public. L’enjeu est de quelle manière la profession va continuer à se positionner par rapport à ces évolutions ou va faire un peu évoluer son positionnement par rapport à tout cela. Ces évolutions sont techniques mais, pas uniquement. On le voit bien avec l’organisation de notre journée d’étude. C’est aussi une affaire de points de vue : est-ce que l’on fait passer en premier les besoins des organisations ou ceux que nous estimons, nous, être prioritaires ? Si on fait passer en premier les besoins des organisations et uniquement ceux-ci, l’aspect patrimonial risque de devenir peu à peu secondaire. Ainsi, on voit que l’enjeu est la conception du métier. Par ma formation, j’ai du mal à quitter le point de vue du document d’archives, source potentielle d’histoire. Pour moi, ce que nous faisons c’est bien pour préparer un matériau historique.

Quels sont, pour vous, les points forts du parcours archives dispensé à Angers ?
Nous revendiquons une volonté d’équilibre : on essaye de former d’une manière générale, sans qu’il y ait une spécialisation excessive dans un domaine donné, tout en essayant de faire qu’il n’y ait pas de lacune trop importante dans un secteur particulier. Peut-être, cette position, un jour, sera intenable car, peut-être, des archivistes deviendront hyper spécialisés en archives électroniques et ne sauront que cela. Pour l’instant, ce n’est pas le cas et ce n’est pas la demande de la profession. On essaye de continuer à former des archivistes généralistes, capables de s’adapter à toute une série d’emplois, sans en exclure aucun.
Autre point fort : l’université a, dès le départ, fait le choix de faire appel à des conservateurs d’archives pour piloter l’offre de formation. L’enseignement professionnalisé à l’université n’équivaut pas à un enseignement purement pratique. Cela reste un enseignement qui a des ambitions sur le plan intellectuel. Grâce au fait que l’université ait fait appel à un conservateur pour piloter cela, l’équilibre s’est rapidement fait entre des intervenants extérieurs, le conservateur et des universitaires, pris au sein de l’université, qui assurent des cours.
Le travail en mode projet est aussi un point fort. C’est formateur de travailler sur des projets réels. Entre faire un cours sur comment organiser une journée d’étude et aller jusqu’au bout de l’organisation, ce n’est pas tout à fait pareil.
L’ancienneté de la formation est aussi une force. Cela fait qu’elle s’inscrit dans le paysage. Il y a une association d’anciens élèves[1], un réseau donc elle est mieux connue.
Les liens que l’on a avec les archivistes locaux, l’intérêt des archives départementales de Maine-et-Loire pour la formation sont également une force.
À l’heure actuelle, nous sommes ceux qui proposent l’offre de formation la plus complète et la plus large avec : un master 2, un parcours dès la licence, une licence professionnelle. Cela donne une palette de possibilités, une palette de niveaux et de type de formation.

Comment voyez-vous l’évolution de la formation ?
Je crois que les enjeux pour la formation vont être de maintenir ses points forts et de continuer à être dans la course des évolutions de la profession. Nous avons ouvert une option records management cette année, qui était attendue.
Au-delà de cela, une autre évolution est d’essayer de développer une recherche en archivistique, tout en gardant cette professionnalisation. Nous avons en projet de créer un doctorat. Nous avons la volonté de développer cela dans un type de recherches appliquées comme dans un type de recherches fondamentales. Les recherches appliquées peuvent être la mise au point d’outils d’évaluation des archives par exemple, à partir des fondements théoriques de l’archivistique actuelle. Je pense qu’il y a aussi de la place pour une réflexion fondamentale en archivistique. Il y a des principes en archivistique, qui nous ont été enseignés comme des manières de faire intangibles, qu’il faut peut-être interroger, comparer sur le plan international. Cela nous permettrait d’avoir une offre encore plus fournie encore plus complète de formation. Cela est toujours dans l’idée de montrer que, dans une formation professionnalisée, il y a des techniques, des pratiques mais aussi des réflexions théoriques.

Pourquoi avoir choisi ce sujet de journée d’étude ?
Le choix est venu très simplement de l’ouverture de l’option records management. Il est apparu logique de prendre un sujet en rapport avec le records management[2]. On pouvait faire « le records management, état des pratiques ». Mais, je n’aime pas trop ce qui est uniquement du retour d’expériences, même si le retour d’expériences est absolument nécessaire. Je pensais qu’il fallait un angle d’attaque un peu plus problématique pour réfléchir à ce qu’apporte vraiment le records management comme changement dans nos professions. C’est un peu le thème de la journée d’étude, en quoi est-ce que cette inversion des regards peut être intéressant, en quoi il faut éventuellement s’en méfier. C’était vraiment en lien avec l’ouverture de l’option tout en cherchant à faire quelque chose qui nous amène à une réflexion plus large, qui ne soit pas trop précise.


[1] L’AEDAA est l’Association des étudiants et diplômés en archivistique d'Angers (http://archinet.aedaa.free.fr).

[2] Le records management est l’ « ensemble des techniques destinées à rationaliser la production, le tri, la conservation et l’utilisation des archives courantes et intermédiaires ». (Association des archivistes français, Abrégé d’archivistique, Paris, 2007, p 302)

Interview réalisé par Jasmine R. et Lucie M.

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